Atelier d’écriture : le huis-clos

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[Atelier d’écriture animé par Christophe Fourvel – 1088 mots]

Conditions : Ecrivez un huis-clos en 1h30. Décrivez les personnages en détail, des personnages dont on ne connait rien, décrivez seulement ce qu’ils évoquent. Sans rien dévoiler de l’histoire, construisez l’ambiance et la personnalité du lieu.

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Les portes de l’ascenseur se referment sur un petit bip sonore. L’élévateur est spacieux, lumineux, éclatant, lisse… à l’image de la compagnie. Du sol émane un effluve entêtant de propre : un doux parfum de lavande recouvrant tant bien que mal une forte odeur chlorée de javel.
Chacun appuie à son tour sur le bouton indiquant l’étage où il se rend.
Je faufile mon bras entre les quelques personnes me séparant du panel et enfonce mon doigt sur le bouton 18, l’étage des ressources humaines.
Je me repositionne ensuite dans le fond de l’ascenseur, comme pour me fondre dans le décor et continue d’observer attentivement les lieux.
Des quatre personnes présentes, chacune – à part moi – prend bien soin de ne pas croiser le regard d’un autre.
On est bien loin de l’atmosphère des petites entreprises de province : ici tout le monde est tiré à quatre épingles, plus ou moins à l’aise dans son costume.
Moi-même j’ai dû revêtir mon déguisement d’homme d’affaires pour satisfaire le code vestimentaire de la multinationale.
Habillé comme tout le monde, je me fonds dans la masse, personne ne me regarde, personne ne me remarque. Se perçoivent-ils seulement entre eux ?
Bien que différent physiquement, tout le monde se ressemble dans son costume, comme sorti d’un même moule. Du moins, si on se refuse à réellement poser son regard sur l’autre, car à bien les observer, de chacun émane une aura bien distincte.
Sur ma gauche respire difficilement un quadragénaire manifestement gêné par son embonpoint. Malgré un costume très probablement taillé sur mesure, sa chemise rentre difficilement dans son pantalon, tendue sur l’arrondi de son ventre imposant. Les boutons du col de sa chemise ont été déboutonnés pour laisser place à un cou gras et violacé. Son visage est également rouge cramoisi, ses tempes perlant déjà de sueur. Pourtant il n’est que 9h00 du matin et l’ascenseur est bien entendu climatisé.
Ses doigts boudinés tiennent fermement une chemise de documents, peut-être importants à en juger par la nervosité et la tension qui se dégagent de lui.
Si par sa silhouette le monde le décrirait par défaut comme « bon vivant », il en incarne à cet instant le parfait contraire tant l’anxiété qui se dégage de lui est palpable.
Peut-être a-t-il des comptes à rendre à un supérieur aujourd’hui ?
Le brave homme semble si mal que j’en ai envie de lui souhaiter bonne chance. Il trouverait certainement cela incongru, alors je me tais.

L’ironie du hasard a placé à côté de lui une jeune fille qui, déjà frêle de base, paraît vraiment minuscule en comparaison. Contrairement à ses collègues présents dans l’ascenseur, elle est la seule à ne pas porter un costume de marque ou de bonne facture. Les bouloches du tissu fin et usé en témoignent. Elle porte juste un petit chemisier blanc tout simple sur une jupe droite noire près du corps. Son maquillage cache très mal de larges cernes sous ses yeux encore gonflés et rougis de sommeil. Son sac à main fantaisie, en désharmonie avec la formalité et sobriété de sa tenue, laisse dépasser un fil d’écouteurs rose vif. À son doigt, une imposante bague argentée en forme de papillon aux ailes serties de petits diamants. Du toc, à en juger par les traces noires que l’anneau laisse sur la peau pâle de son annulaire. C’est encore une enfant à mes yeux. Une stagiaire peut-être.
Elle jette plus ou moins discrètement des œillades appuyées en direction du jeune homme debout vers le devant de l’ascenseur. Mais lui n’a d’yeux que pour son smartphone sur lequel il pianote frénétiquement, d’un air important. La silhouette athlétique, il nous domine tous d’une bonne tête. Il est à l’image de l’ascenseur flambant de neuf et du hall d’entrée de l’immeuble : impeccable.
Même sa mallette diffuse une senteur de cuir neuf, venant se mêler à celle déjà forte des produits d’entretien.
Sa chemise et son pantalon sont parfaitement repassés, ses chaussures cirées, sa barbe fraîchement rasée, ses ongles polis.
Il n’a pas non plus lésé sur le parfum de luxe qui embaume l’habitacle ; et au mélange de tous ces effluves s’ajoute celle de transpiration âcre de notre quadragénaire stressé.
Tout ça commence à me donner la nausée, encore combien d’étages ?

Le téléphone sonne. Le jeune employé-modèle arrête de pianoter pour répondre : « Oui ? … Non mais ça va pas être possible maintenant, tu sais bien que je suis déjà sous l’eau. Je croule sous les dossiers, je suis charrette. Mets-moi ça sur mon bureau, et je reviendrai vers toi ASAP. »
Il raccroche avec un soupir excédé en levant les yeux au ciel et regarde sa montre d’un geste nerveux.
J’ai toujours trouvé fascinant cette façon d’utiliser des abréviations écrites – anglophones de surcroit – à l’oral… « ASAP ».
Comme s’il avait entendu le sarcasme de ma pensée, son regard se pose furtivement sur moi avant de glisser sur l’homme cramoisi de malaise accroché à ses documents.
Ses sourcils se froncent exprimant un mépris profond qu’il ne tente même pas de dissimuler, puis il nous tourne le dos pour recommencer à pianoter de son air supérieur.
Sa suffisance est à la limite du supportable et même si je ne sais rien de lui, je décide qu’il ne vaut pas la peine d’être connu. J’assume mes a priori.
Au 12ème, l’ascenseur s’arrête et Monsieur Parfait descend à grandes enjambées pressées, disparaissant la tête haute à travers les couloirs interminables. Enfin une odeur en moins à supporter.
Au 15ème, l’ascenseur s’arrête de nouveau pour laisser entrer un homme largement dégarni, le crâne luisant sous la lumière des plafonniers et le reste de ses cheveux tirant plus sur le blanc que le gris. Il pousse, le dos courbé dénonçant une scoliose, un charriot rempli de courrier. La journée commence à peine, mais il a l’air déjà lasse et fatigué. Alors qu’il tire son encombrant charriot pour sortir à l’étage suivant, je me surprends à l’encourager mentalement : « courage, bientôt la retraite ».
Arrivé enfin au 18ème, c’est à mon tour de descendre. Mes doigts se crispent inconsciemment sur la pochette qui renferme mon curriculum vitae et mes références.
Si tout se passe bien, je serai bientôt l’un des leurs. La chance de ma vie… Il paraît.
Je ne sais plus si j’en ai toujours envie.

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Commentaire : Une part de moi ne sait pas s’il est bien intéressant pour vous de publier des extraits d’atelier d’écriture, soit des morceaux de texte qui n’auront probablement jamais de suite. Toutefois, j’ai envie d’en garder une trace, et aussi, j’aime partager ces figures imposées car ce sont clairement des textes que je n’aurais jamais écrits si on ne me l’avait pas demandé. Et il s’avère qu’un de mes points faibles, c’est la description. Me demander d’écrire un texte où je dois créer une ambiance seulement en décrivant un lieu et des personnages sans rien en dévoiler, j’ai trouvé l’exercice intéressant. Si une âme perdue arrive jusqu’à cette page et souhaite se plier à l’exercice, n’hésitez pas à partager votre texte !

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