Titre : Captive
Titre Original : Alias Grace
Auteur : Margaret Atwood
Genre : Historique
Editeur : 10-18
Traduction : Michèle Albaret-Maatsch
Année d’édition : 2017 en France
Nombre de pages : 624
Résumé : 1859 : Grace Marks, condamnée à perpétuité, s’étiole dans un pénitencier canadien. A l’âge de seize ans, Grace a été accusée de deux horribles meurtres. Personne n’a jamais su si elle était coupable, innocente ou folle. Lors de son procès, après avoir donné trois versions des faits, Grace s’est murée dans le silence : amnésie ou dissimulation ? Le docteur Simon Jordan veut découvrir la vérité. Gagnant sa confiance, Jordan découvre peu à peu la personnalité de Grace, qui ne semble ni démente ni criminelle. Mais pourquoi lui cache-t-elle les troublants rêves qui hantent ses nuits ?
Inspiré d’un sanglant fait divers qui a bouleversé le Canada du XIXe siècle, Margaret Atwood nous offre un roman baroque où le mensonge et la vérité se jouent sans fin du lecteur.
Commentaire : Voici une de mes récentes découvertes dans le cadre de nos lectures mutuelles avec Mila (dont vous retrouverez la critique ici) qui m’a vraiment beaucoup plu. Et pourtant ce n’était pas gagné, car j’ai rechigné à m’y mettre pendant quelques semaines, l’annonce du confinement ayant terriblement joué sur ma capacité de concentration au début. Et puis une fois que j’ai véritablement commencé ma lecture… impossible de m’en défaire et je l’ai terminé en quelques jours. J’étais vraiment curieuse de découvrir la plume de Margaret Atwood et je n’ai pas été déçue, au contraire, maintenant j’ai envie de tester ses autres romans pour confirmer l’essai.
Captive nous entraîne dans la vie de Grace Marks, alternant passé et présent, vérités et suspicions, le tout entrecoupé de véritables coupures de journaux et témoignages de l’époque. Et c’est une réussite. L’histoire nous embarque avec elle, et jusqu’à la fin on doute. On suit avec curiosité et passion les récits de Grace et on ne cesse de se demander “est-ce qu’elle ment ou est-ce qu’elle dit la vérité ?”. On est comme tout ceux qui la côtoient, on s’attache à elle et on ne demande qu’à la croire innocente… mais le doute persiste, car on sent que quelque chose nous échappe toujours et qu’elle ne dévoile pas tout.
Comme le roman est tiré de faits réels où on n’a jamais vraiment su trancher si Grace Marks était réellement coupable de meurtre ou innocente, j’ai eu peur tout au long de ma lecture que Margaret Atwood se cache derrière une fin en queue de poisson qui nous laisserait dans le flou. Mais non, j’ai trouvé l’intrigue passionnante jusqu’à la fin et son dénouement tout à fait satisfaisant.
Au delà d’une narration drôlement bien maîtrisée, Margaret Atwood nous offre un véritable roman historique, terriblement bien renseigné et avec une foison de détails sur la vie de l’époque, notamment l’organisation des maisons et le traitement des domestiques au Canada du 19ème siècle. J’ai trouvé ça passionnant.
Le rythme des journées de Grace, l’éventail de ses tâches et leur évolution au fil de l’année et des saisons… tout est décrit avec une précision chirurgicale sans jamais devenir assommant. J’ai adoré découvrir le quotidien de l’époque et les mentalités de chacun, le tout écrit avec la finesse d’une dentelle.
La condition de la femme à l’époque, notamment avec un rang de domestique, y est également largement abordé, avec son lot de difficultés et d’injustices, et ce, non seulement à travers les yeux de Grace, mais également des personnes qui l’entourent.
L’autre grand rôle féminin qui m’a marquée dans ce roman est celui de Mary Whitney, domestique dans la première maison où Grace a travaillé étant plus jeune, mais également meilleure amie de celle-ci. Un personnage haut en couleur, à la fois âme jumelle et famille de coeur de Grace, tout en lui étant diamétralement opposé en personnalité. L’histoire de leur amitié a été pour moi un des passages les plus prenants et les plus émouvants du roman.
Au delà des personnages féminins, j’ai aussi trouvé le Dr Jordan, le personnage masculin principal, assez intéressant. Intéressant dans le sens où je n’ai jamais réussi à vraiment déterminer si je l’aimais bien ou si je le trouvais terriblement antipathique. S’il n’est pas le meilleur, il est clairement l’un des moins pires, et pourtant… Il me mettait vraiment mal à l’aise. Il ne peut s’empêcher de se méfier des femmes, de les objectiser, d’avoir des pensées mal placées et méprisantes, d’être manipulateur parfois ou même lâche. Après discussion avec Mila sur ce personnage, on en est venu à la même conclusion : il est en grande partie conditionné par son époque. Même s’il a tout pour faire un homme bien, la mentalité des hommes bien nés de l’époque le rattrape et rend son rapport aux femmes un peu malsain.
J’aimerais aussi saluer l’autrice pour son talent pour créer la surprise. Quand on consomme beaucoup de livres ou de films, il devient de plus en plus difficile d’être surpris. Soit les ficelles scénaristiques sont connues et on devine ce qui se profile longtemps à l’avance, soit le coup de théâtre est tellement sorti de nulle part qu’il tombe comme un cheveu sur la soupe et nous reste en travers de la gorge. Alors que là, je pense notamment à un plot twist en particulier, elle avait donné tous les indices possibles, et pourtant elle m’a complètement baladé dans son récit et je n’ai rien vu venir. J’ai de plus en plus de mal à trouver des retournements de situation réussis dans mes lectures alors je tenais à le souligner ici.
Pour conclure, je dirai que Margaret Atwood nous offre un roman riche en bien des points : une approche psychologique intéressante, une histoire intrigante et intéressante jusqu’à la fin, un grand intérêt historique et un aperçu des archives des documents de l’époque. Le tout en mettant en scène des personnages savamment dépeints et en sachant doser son suspense. C’est riche sans être lourd, c’est très documenté sans être indigeste.
Je suis donc maintenant curieuse de découvrir le reste de son oeuvre, qui selon les critiques, est encore meilleur que ce roman.
Extraits :
N’empêche, criminelle est un terme fort quand on vous l’attribue. Il a une odeur, ce terme – musquée et suffocante comme des fleurs mortes dans un vase. Parfois, la nuit, je me le répète dans un murmure : Criminelle, criminelle. Il bruisse comme une jupe en taffetas sur un plancher.
Criminel n’est que brutal. Il a l’effet d’un marteau ou d’un bout de métal. Si je n’avais que ça comme choix, je préférais être une criminelle qu’un criminel.
Quitter une chose qu’on connaît, même très indésirable, pour l’inconnu constitue toujours un sujet d’appréhension et j’imagine que c’est pour cela que tant de gens ont peur de mourir.
Bon, tu sais ce que j’ai pensé de ce livre, et je sais ce que tu as pensé de ce livre (parce qu’on en a discuté, et parce que j’ai lu cet article, quand tu l’as publié et maintenant) donc je répète pas nos discussions, mais je viens quand même écrire un commentaire pour dire que j’ai apprécié de lire (et relire, du coup^^) cet article ♥ Et contente que tu aies ajouté du Atwood dans ta PAL, on va pouvoir découvrir ça ensemble un de ces jours comme ça 😀 !