La fille sur le banc

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[Ecrite en septembre 2012, remaniée en 2019]

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La fille sur le banc 

Claire s’assit sur le banc comme à son habitude et posa son sac à main à côté d’elle. Comme à chaque fois qu’elle entrait dans le parc et suivait l’allée jusqu’à son banc, elle avait cette petite angoisse qu’il soit déjà occupé par quelqu’un d’autre. Ce n’était arrivé que quelques fois, mais quand c’était le cas, elle le vivait comme la pire des trahisons, comme s’il n’existait plus aucun endroit où se réfugier sur terre, plus d’autre repère. Elle aurait évidemment pu aller sur un autre banc, mais ce n’était pas le sien.

Heureusement, aujourd’hui il était libre, n’attendant qu’elle. Toutefois, ce n’était pas vraiment étonnant puisque le mois d’octobre était déjà bien entamé. Le temps s’était nettement rafraîchi et les promeneurs se faisaient sensiblement moins nombreux de semaine en semaine. Ils avaient aussi certainement mieux à faire que trainer dans un parc désert par temps gris. Contrairement à elle.
Elle remonta la fermeture éclair de sa veste jusqu’au cou, un vent léger mais frais venant la faire frissonner. Elle regarda ses livres de cours qui dépassaient de son sac à main, les jaugea longuement puis soupira et décida de les laisser à leur place. Elle-même ne savait pas pourquoi elle s’entêtait à alourdir son sac de livres et autres manuels lorsqu’elle venait ici, puisque de toute façon elle ne restait pas concentrée plus de trois lignes dessus.

Elle préférait rester là, à regarder au loin et laisser son esprit vagabonder. Elle regardait les gens, imaginait leur vie, écoutait leurs conversations quand elle le pouvait, étudiait ce qu’était la vie de monsieur et madame tout le monde. Ce qu’était une vie normale.
Bien qu’elle fût elle aussi une mademoiselle tout le monde, elle ne se considérait pas comme normale. En tous cas, elle se sentait toujours à part, différente des autres.

Lorsque Claire regardait les gens, elle trouvait leur normalité passionnante. Ils étaient normaux dans le sens où par leur style, leur gestuelle ou encore leur façon de parler, ils exprimaient leur personnalité, ce qu’ils étaient. Ils n’étaient pas transparents.
Et que leur vie ait l’air heureuse ou non, riche ou médiocre, elle leur enviait plus que tout cette non-transparence.
Mais aujourd’hui, le parc était quasiment désert et il n’y avait pas grand-chose à observer à part les branches luttant contre les assauts répétés du vent.
Elle soupira, lasse.

Elle vit au loin un homme courir le long sentier, le casque sur les oreilles, nageant dans son survêtement en sueur.
Elle l’admira un instant pour sa motivation et cela la déprima aussitôt. Elle n’avait jamais eu le courage de faire le moindre effort physique et avait même toujours été plutôt minable dans ce domaine.
Elle essayait de se consoler en se disant qu’elle était plutôt une femme de lettres mais de nos jours, on avait que faire d’une fille de 22 ans capable de citer Baudelaire.

En fait, je suis une vieille dans un corps de jeune.

Sa poitrine s’alourdit un peu plus : ça recommençait. Depuis plusieurs mois, elle était sujette à des angoisses inexpliquées.
Inexpliquées dans le sens où elle n’avait pas de vrais problèmes à proprement parler, d’un point de vue objectif elle était même plutôt heureuse.
Ses problèmes de santé se résumaient à un ou deux petits rhumes par an. Sans être riche elle ne souffrait pas de manque d’argent. Elle faisait des études, vivait dans un petit studio coquet en plein cœur de la ville. Une petite vie sans histoire.
Et c’était limite ce qui la chagrinait : si elle avait souffert d’un véritable malheur, alors peut-être  son entourage se serait-il intéressé à son mal de vivre.
Enfin, encore eût-il fallu qu’elle ait un entourage sur lequel elle puisse compter.
En effet, si sa vie matérielle ne présentait aucune difficulté, on ne pouvait pas en dire autant de sa vie sociale qui elle était quasi inexistante.

Sa dernière véritable amie en date était Lisa, sa petite voisine du dessous dont elle avait perdu la trace après le déménagement de cette dernière lorsqu’elles avaient 11 ans.
Depuis, elle n’avait lié que des amitiés aussi éphémères que factices.
Elle y croyait à chaque fois pourtant, mais une fois qu’elle avait fait les devoirs de sa nouvelle amie, lui avait fait les photocopies de ses cours complets ou rendu un service quelconque, alors cette dernière disparaissait aussitôt, ignorant appels et messages, pour se débarrasser d’un « Désolée, dernièrement je suis hyper occupée » gêné si par malheur elles venaient à se croiser par hasard.
Qu’est-ce qui n’allait pas chez elle ? Etait-elle si ennuyante ?
D’accord, elle n’était pas un monstre d’humour et – sauf peut-être à ses dépends – n’avait jamais fait rire quelqu’un aux larmes, mais tout de même.
C’est vrai, elle n’avait pas forcément les mêmes passions que la majorité des jeunes d’aujourd’hui. Elle ne s’intéressait pas tellement à la mode, passer des heures à flâner dans les magasins en quête de LA tenue qui ferait pâlir de jalousie les copines n’était pas vraiment sa tasse de thé. Idem pour le maquillage, si elle n’était pas contre un peu de mascara ou une touche de rouge à lèvre pour ne pas paraître trop fade, de là à y dépenser des fortunes et des heures dans la salle de bain, non… C’était une généralité facile, oui, mais le fait était que la plupart des jeunes qui l’entouraient était comme ça et elle n’avait pas grand chose à leur dire.
Elle avait déjà eu le privilège d’être invitée à ces soirées entre copines où on discute des derniers potins tout en regardant la dernière télé-réalité à la mode mais elle devait avouer que même si elle s’était sentie profondément vexée qu’on ne la réinvite plus par la suite, elle s’était aussi sentie complètement à part ce soir-là et pas à sa place.

Elle trouvait la plupart des blockbusters passionnant les foules médiocres, se désintéressait souvent des séries télévisées au bout de quelques épisodes trouvant le scénario soit prévisible soit invraisemblable, ne jouait pas aux jeux vidéos, qualifiait la musique à la radio de «soupe », utilisait peu Internet, ne comprenait pas cet engouement pour les réseaux sociaux et par conséquent ne connaissait ni le dernier statut qui avait fait rire la galerie, ni le dernier scandale des photos d’untel ivre postées à son insu. Elle ne partageait ni l’enthousiasme débordant des autres étudiants pour les soirées (très) alcoolisées, ni les commérages du lendemain sur les débordements qui avaient lieu à chacune de ces soirées…
En vérité, elle en venait à se demander elle-même ce qui l’amusait dans la vie.
Et elle ne pouvait que constater que rien, absolument rien, ne lui donnait la fièvre, l’envie, la passion. Si elle avait quelques loisirs, elle n’avait pas de hobby à proprement parler. Rien qui n’allume sa flamme.

Et comme au fond d’elle-même c’était une romantique, elle trouvait cette vie sans fièvre incroyablement vide et déprimante.
Au fond, pas étonnant que personne de son âge n’ait envie de se lier d’amitié avec une fille aussi morne et peu au courant des choses qu’elle.
A deux, elle n’était pas intéressante. En groupe, elle devenait transparente.

Même moi, je n’aurais pas envie de traîner avec une fille comme moi. Bonjour la personnification de l’ennui.

Voilà pourquoi les gens abandonnaient son cas après quelques soirées passées ensemble, ne se souvenant de son existence que quelques jours avant les examens car elle était une des seules de l’amphithéâtre à ne pas sécher régulièrement les cours. Elle doutait même que ses camarades soient vraiment conscients d’agir de la sorte, à vrai dire. Juste, à force de se montrer inexistante, elle se faisait oublier lors des invitations et disparaissait petit à petit de la vie des gens.
Et elle n’arrivait jamais à savoir si elle en était malheureuse ou soulagée.

Quel est le pire ? Seule ou mal accompagnée ?

Il y avait bien eu Fred qui avait fait plus d’efforts que les autres pour la sortir de sa solitude. Et même si elle avait finit par abandonner elle aussi, Claire lui était reconnaissante d’avoir au moins vraiment essayé.

Fredérique, c’était le boute-en-train de la promo. Tout le monde la connaissait et tout le monde l’appréciait. Un petit bout de nana d’un mètre soixante, elle cultivait un look androgyne « pour être en phase avec mon prénom et mes petits nichons !» comme elle disait.

Brune aux cheveux cours laqués dans un désordre savamment organisé, elle ne quittait jamais ses pantalons baggy et ses hauts près du corps aux motifs militaires. Ses seuls accessoires se résumaient à des pics autour du cou, quelques piercings aux oreilles et à l’arcade ainsi qu’un bracelet de cuir orné d’un symbole dont elle disait préférer garder la signification secrète. Evidemment tout le monde trouvait ça mystérieux donc super cool.
Peu maquillée, c’est vrai qu’elle ne représentait pas l’image qu’on pouvait se faire habituellement de la féminité et pourtant elle était incroyablement attirante et sexy. Etait-ce sa joie de vivre, sa beauté naturelle, son humour, son incroyable facilité à approcher les gens et s’en faire des amis ou sa capacité à s’assumer quelles que soient les circonstances, mais son charisme faisait l’unanimité que ce soit chez les filles ou les garçons. On ne l’avait d’ailleurs jamais vu célibataire.
Claire l’admirait elle aussi et ne pouvait s’empêcher de la regarder à la dérobée et l’envier d’être si… elle.

Au début de la première année, Fred avait essayé de l’intégrer à son groupe en l’invitant à toutes sortes de soirées et même poussé l’effort jusqu’à ne pas la laisser seule dans un coin, restant toujours dans les parages pour la faire rire ou l’inviter à participer à la conversation.
Claire avait eu l’espoir qu’enfin elle pourrait avoir des amis et s’intégrer dans un groupe d’amis.

Jusqu’à un soir, où le groupe était sorti en boîte de nuit et que Fred avait réussi à la convaincre de venir.
A peine arrivée, elle s’était sentie ridicule. Habillée de son éternel jean, elle ne tenait vraiment pas la distance face aux autres filles plus apprêtées les unes que les autres. Même Fred avait abandonné ses baggy pour une petite robe noire moulante qui lui allait à ravir (cette fille n’avait-elle donc aucun point faible ?).
Claire avait fait de son mieux pour paraître normale cette soirée-là, pour s’amuser comme tout le monde, pour se lâcher.

Elle avait dansé sur une musique qu’elle exécrait pourtant en temps normal et s’était même laissée entraîner par Fred sur le podium pour se déhancher avec les autres petites starlettes de la ville.

Au moment de retourner sur la piste, un jeune homme – dont elle ne se rappelait même plus le visage – lui avait pris la main pour l’aider à descendre la marche du podium, puis l’avait attirée contre lui et embrassée sans préambule.
Stupéfiée, elle n’avait pas eu la force de le repousser et s’était laissée faire froidement jusqu’à finir par trouver la chose agréable et lui rendre ses baisers.
Ils s’étaient bécotés comme ça pendant de longues minutes et Claire dût avouer qu’elle était très excitée par cette situation. C’était la première fois !
La première fois qu’elle sortait et se faisait draguer – harponner ? – par un garçon, qu’elle embrassait langoureusement quelqu’un devant tout le monde. Pour une fois, elle n’était pas spectatrice dans un coin du comportement des autres, mais actrice au plein cœur de l’action.
Sans oublier que sa vie affective était au moins aussi triste que sa vie sociale et connaître enfin l’effet de deux bras serrés fermement autour de sa taille était des plus agréables.
Elle se sentait enfin normale, comme tout le monde.
Et ça la rendait heureuse.

Allaient-ils devenir un couple ? Allait-elle elle aussi enfin connaître les cinémas à deux, les promenades mains dans la main, les photos enlacés collées sur le mur du salon ?
Alors qu’elle se montait des plans sur la comète dans les bras de ce tendre inconnu, elle ressenti le besoin de s’absenter quelques minutes pour aller aux toilettes. Abandonnant un temps sa conquête, elle lui promit de revenir tout de suite. Il avait acquiescé, la gratifiant d’un nouveau baiser qui lui mit des papillons dans le ventre.
Sur le chemin des toilettes, Fred l’avait félicitée d’un pouce vers le haut avec un regard lourd de sous-entendus et Claire s’était sentie grisée par ce sentiment d’être enfin dans le coup.
Malheureusement, dix minutes plus tard, son euphorie lui tomba lourdement dans l’estomac quand elle retrouva son prince charmant sur la piste, en train d’en embrasser une autre avec la même fougue.
Elle apprenait à ses dépends la dure loi du papillonnage alcoolisé du samedi soir.
Et c’était ridicule au fond, car elle ne connaissait même pas le prénom de ce garçon, mais elle s’était sentie humiliée, trahie, utilisée.
Elle avait finit par s’assoir à une des tables vides, ravalant ses larmes. Fred était alors arrivée, un verre de whisky-coca à la main et le sourire jusqu’aux oreilles.
Elle ne sut jamais si Fred avait suivi la scène et était venue pour la réconforter ou si c’était un hasard.

A tous les coups, elle a eu pitié de moi. Claire, pas foutue de se trouver un mec, qui chiale un pauvre type bourré qui ramasse tout ce qui bouge alors qu’elle le connaît même pas.

Le reste de la soirée était plutôt flou.
Elle avait bu comme jamais dans toute sa vie et s’était réveillée la tête lourde le lendemain dans son lit, aux côtés d’un autre jeune homme, nu et pas vraiment à son goût. Au réveil, il s’était rhabillé en silence (lui détendu, elle non), avant demandé s’il pouvait emporter un coca en partant et elle ne l’avait jamais revu.

Ma première fois, et je m’en souviens à peine. Sans parler du passage au planning familial après car je n’étais pas sûre de m’être protégée. Mais quel déchet je fais, sérieux.

En y repensant aujourd’hui, c’était la pire soirée de sa vie.
D’ailleurs, elle avait eu beaucoup de mal à l’assumer et n’était plus jamais ressortie avec Fred et ses amis par la suite. Ce n’était pas pour elle. C’était minable.

La suite de ses aventures amoureuses n’était pas moins médiocre, mais au moins ça avait duré plus d’une nuit et elle en avait gardé le souvenir.
En deuxième année, elle était sortie quelques mois avec Sébastien, le geek de la classe, la caricature du mec au physique ingrat passant son temps libre derrière son ordinateur. Lors d’un TP où ils devaient préparer un exposé en binôme, les deux parias de la promo qu’ils étaient s’étaient retrouvés à travailler ensemble.
Et plus par solitude que pour autre chose, ils avaient fini ensemble. Mais encore une fois, pas de promenade main dans la main ou de photos d’eux enlacés collées au mur du salon.
Juste une relation sans passion, pour avoir quelqu’un dans sa vie. Ils avaient été enthousiastes à l’idée de s’être trouvé une moitié au moins quelques temps, mais la vérité, c’est qu’ils n’avaient rien à se dire. Ils se trouvaient mutuellement ennuyeux. Il avait donc vite retrouvé ses habitudes derrière son ordinateur et elle avait vite fini par s’admettre qu’elle ne le trouvait ni attirant, ni vraiment intéressant.
Pourtant, et c’est là le plus ironique, c’était lui qui avait fini par la quitter.
Fred – encore elle – avait invité Sébastien à plusieurs soirées et lui, il avait finit par y prendre goût et s’intégrer au point de sortir avec une des filles du groupe.
Encore une fois, Claire ne savait si elle était triste ou soulagée par ce dénouement.
Mais quoi qu’il en soit, son amour-propre en avait pris un coup une fois de plus.

Même lui a fini par s’intégrer. En fait, c’est moi qui ai un problème.

Depuis ces quelques amourettes de bas niveau, Claire n’avait plus approché la gent masculine, ni même ne s’y était intéressée. Et au final, les garçons le lui rendaient bien.
Car son physique était aussi terne que sa personnalité morne.
Ni brune ni blonde, ses cheveux tiraient sur un châtain sans éclat des plus ordinaires. Ni raides, ni bouclés, ils ondulaient mollement sur ses épaules sans structure ni forme.
Des yeux marron d’un banal à faire pleurer.
Sans avoir de réels problèmes de surpoids, elle avait toutefois de larges hanches et deux petits bourrelets sur le ventre qui la désespéraient. Elle jalousait les filles minces tout en se faisant fustiger par les plus rondes qui l’agressaient d’un « Mais de quoi tu te plains ? On aimerait bien être grosses comme toi, nous ! ».
Des seins, qui bien qu’ils ne soient pas vraiment volumineux, tombaient lâchement sur son ventre.
Tout chez elle était soit sans caractère, soit détestable.
Donc évidemment, les prétendants étaient loin de faire la queue devant sa porte.

Un boudin. Disons-le clairement, je suis un boudin. Un cageot. Un thon.

Claire frissonna. Le vent se faisait un peu plus fort et l’air frais s’engouffrait vicieusement sous sa veste.
Repenser à tout ça n’avait pas amélioré son humeur.
Comme pour l’achever, un couple passa main dans la main devant elle, la fille se collant contre son amoureux pour se protéger des bourrasques.
Claire soupira. Pourquoi est-ce qu’elle les envierait d’abord ? Il n’y avait même personne qui lui plaisait dans son entourage.
Le seul garçon qu’elle trouvait un minimum attirant était le serveur du café-terrasse en face du parc. Elle devait avouer que lui, il était vraiment pas mal.
Avant de venir s’assoir sur son banc fétiche, elle faisait parfois un crochet par ce café pour prendre un chocolat chaud à emporter.
Leur cacao était une véritable merveille, ils mettaient des petites guimauves dedans qui fondaient sous le palais : à se damner.
Pour cinquante centimes de plus, il y avait un supplément chantilly maison sur la boisson, saupoudrée de copeaux de chocolat au lait. Elle se détestait à chaque fois de céder mais ne pouvait s’empêcher de prendre ce supplément. Ce chocolat chaud était une des seules choses qui rendaient sa vie digne d’être vécue.

C’est pas comme ça que je vais me débarrasser de ces deux satanés bourrelets, mais bon…

Claire caressa un instant le bois du banc, là où elle y avait gravé quelques mois plus tôt sa phrase fétiche.
Quelques mots en latin qui l’inspiraient et qui étaient devenu son leitmotiv. Elle qui dessinait un peu en avait fait une calligraphie qu’elle avait accrochée dans un cadre dans l’entrée de son studio. Pour se donner la force de continuer.
Ce banc était orné de toutes sortes de choses : de cœurs, de prénoms, de dates, de « nique ta mère »… Pour toutes les heures qu’elle avait passées assise ici à laisser son esprit vagabonder en regardant les passants, elle s’était dit qu’elle aussi elle se devait de laisser une trace de son passage.
De le baptiser même. Alors elle avait inscrit ces mots, si importants pour elle.
Depuis, caresser du bout des doigts l’endroit qu’elle s’était approprié à l’aide d’un petit canif était devenu une manie.

Une adolescente un peu trop maquillée à son goût passa devant son banc d’un pas pressé, elle pleurait au téléphone. « Nan, mais j’te jure ma mère va me tuer si elle l’apprend ! J’sais trop pas quoi faire j’suis grave dans la mer… »
Claire n’entendit pas la suite mais continua de la regarder s’éloigner.
Qu’est-ce qu’elle avait bien pu faire pour être dans cet état ?
Fumer un joint ? Voler quelque chose ? Tomber enceinte peut-être.
Claire imagina comme à son habitude une multitude de scénarii puis en vint à se demander si elle n’avait jamais été angoissée à l’idée que sa mère la dispute pour quelque chose.
Non, autant qu’elle se souvienne, ça ne lui était jamais arrivé. Il faut dire qu’elle n’avait jamais vraiment donné à ses parents l’occasion d’être furieux contre elle.
Et même, elle devait avouer qu’elle avait toujours eu plus ou moins l’impression qu’ils se désintéressaient d’elle, tout comme le reste du monde.
Pas qu’ils ne l’aiment pas ou la maltraitent, au contraire. Elle n’avait jamais subi de mauvais traitements et toujours reçu ses cadeaux de Noël et d’anniversaire en temps et en heure.
Mais au final, elle avait toujours eu l’impression que ses parents s’étaient contentés de faire leur devoir de bons géniteurs, sans toutefois y mettre du cœur.
Jamais elle n’avait reçu d’attention inattendue, de geste affectif spontané ou de surprise. Quand elle recevait des cadeaux pour une occasion précise, même si elle était touchée par le geste, elle pouvait parfaitement imaginer ses parents traîner dans les rayons, l’air désemparé : « pff, qu’est-ce qu’on pourrait bien lui acheter ? » pour finalement prendre le premier bibelot mignon qui passe pour se débarrasser de cette corvée.
Elle n’avait aucun souvenir de moment vraiment complice avec eux ou qu’ils ne se soient jamais inquiétés pour elle. Ils lui parlaient peu de sa vie, lui posaient peu de questions, n’avaient pas l’air de s’intéresser à ses loisirs.
A vrai dire, la seule fois où ils avaient interféré dans sa vie a été la seule fois où elle aurait bien voulu qu’ils s’abstiennent.
Après les avoir déçus dans un premier temps pour avoir choisi d’entrer dans la filière littéraire du lycée, ils s’étaient formellement opposés à son envie d’entrer en fac de lettres pour se spécialiser dans les langues mortes.
« Claire, la réponse est dans l’intitulé ! Ce sont des langues mortes, tu entends ? MORTES ! Qu’est-ce que tu vas aller ruiner ta vie à passer une éternité sur les bancs de la fac pour apprendre du latin ou du grec que personne n’utilise ? Passer quinze concours pour finir soit chômeuse surdiplômée, soit prof dans un collège où personne n’en aura rien à faire de tes cours ? Tu veux passer ta vie à faire la police à des élèves turbulents qui te rendront folle ? Nous sommes au 21ème siècle Claire, aujourd’hui ce qui est porteur c’est l’économie, la finance, l’informatique ! ».

Elle n’avait pas osé lutter contre eux. Elle aurait voulu riposter, leur hurler que c’était à cause de moutons comme eux que la culture et l’art se perdaient, que les gens ne savaient plus rêver, trop occupés à compter leurs sous et penser carrière à tout prix.
Mais elle n’avait pas envie qu’ils la méprisent comme cette fois-là, où ils lui avaient fait la morale avec tant de condescendance.
Elle avait donc renoncé à ses envies docilement et choisi une filière qui sonnait bien, qui donnait une image intelligente, qui entraînait des « Wouah, c’est super ! » de la part d’adultes impressionnables : elle était entrée en fac de droit, s’inventant pour le paraître un rêve de devenir avocate.
Avouez que dire qu’on bachote ses livres de lois pour défendre la veuve et l’orphelin de l’injustice, c’est tout de suite plus impressionnant que dire qu’on apprend ses déclinaisons en latin pour ne pas savoir ce qu’on va en faire dans la vie.
Elle venait maintenant d’entrer en quatrième année de droit et bien qu’elle n’ait redoublé aucune de ses classes, elle devait admettre que ça ne la passionnait absolument pas et que ses notes stagnaient entre le 10 et le 12. Assez pour valider son année, mais toujours très moyen.
Et chaque année, elle avait de plus en plus de mal à atteindre la moyenne, nauséeuse à l’idée de bucher ses cours et traînait la patte pour se rendre à l’université. La seule chose qui la motivait à avoir ses partiels était l’idée de ne pas devoir faire une année supplémentaire dans ce sombre ennui.
Mais ses parents ne s’en formalisaient guère, ils étaient contents que leur fille ait choisit une voie qui sonne bien.
En y réfléchissant, ils n’avaient très certainement aucune idée de l’état d’esprit de leur fille et tout oublié de ses propres envies.

Mais est-ce qu’ils en ont même quelque chose à faire ?

Dès qu’elle avait eu 18 ans et le bac en poche, ils s’étaient mobilisés pour lui trouver un petit studio et qu’elle vole de ses propres ailes.
A peine installée, ils lui ont alors avoué qu’ils prévoyaient de divorcer depuis un moment déjà et attendaient qu’elle soit adulte pour le lui annoncer.
Même si ça se voulait « pour son bien », elle n’avait pas apprécié cette façon de faire. Ne rien lui dire, jouer la comédie tous les jours pour finalement se débarrasser d’elle à peine majeure afin de pouvoir faire ce qui leur chantait.
Elle aurait sûrement été triste mais aurait pu accepter que ses parents décident de se séparer, ils n’avaient jamais formé une famille très fusionnelle et de nos jours ils n’étaient pas rare que des familles se séparent.
Elle s’était sentie d’autant plus trahie en apprenant que son père avait déjà quelqu’un d’autre dans sa vie et projetait même d’avoir un autre enfant.
Quelques mois après avoir emménagé seule et appris le divorce de ses parents, il annonçait déjà qu’il allait être papa. Au petit soin pour sa nouvelle famille, il n’avait alors plus donné de nouvelles.
Comme au début sa mère était légèrement affectée de voir l’homme qui avait partagé son quotidien pendant 20 ans refaire sa vie avec une autre, Claire rentrait chaque week-end à la maison pour lui tenir compagnie.
Puis au bout de quelques temps, celle-ci avait commencé à refaire sa garde-robe, se maquiller avec des couleurs plus vives, aller régulièrement chez le coiffeur… Puis elle finit par lui annoncer qu’elle avait un nouvel homme dans sa vie, de douze ans son cadet.
Tout à son nouveau bonheur et sa jeunesse retrouvée, elle se montrait embêtée quand Claire décidait de rentrer la voir, préférant manifestement profiter de son nouvel amant en toute intimité.
Claire avait donc cessé de rentrer chez sa mère, se contentant de téléphoner une fois de temps en temps.
Elle se sentait évidemment abandonnée et souffrait de ce désintérêt qui touchait jusqu’à ses propres parents mais elle avait décidé de respecter leur bonheur. Ils avaient rempli leur rôle et l’avaient bien élevée, ils avaient le droit de refaire leur vie et de profiter.
Et comme si, dans le fond, ils étaient parfaitement conscients de cet abandon et se sentaient coupables, ils mettaient tout deux un point d’honneur à lui envoyer chacun une somme d’argent conséquente chaque mois pour couvrir son loyer, ses frais de scolarité et les dépenses quotidiennes.
En vérité, elle trouvait ce concept de remplacer l’amour parental par un chèque ou un virement bancaire d’une tristesse sans précédent, mais se gardait de se plaindre.
Après tout, d’autres étaient obligés de collectionner les petits boulots ou abandonner leurs études faute d’argent. Elle était privilégiée.
Oui… Mais quand même. Même sans argent, ils avaient sûrement des amis et une famille sur qui compter, eux.

Je suis seule.

Une larme coula sur la joue de Claire. Aujourd’hui était définitivement un jour sans.
A passer l’après-midi à faire le bilan de sa vie, elle venait de réaliser à quel point cette vie n’avait pas lieu d’être.
Pas d’amis, pas de petit copain, pas de famille aimante, pas de passion, pas de perspectives d’avenir enthousiasmantes, rien qui ne la fasse palpiter ou même espérer.
Juste la grisaille parisienne, la solitude, la sensation d’être insignifiante, transparente, inutile.
Que personne ne la regardait. Oui c’était cela, personne ne s’apercevait qu’elle était là.

A cette pensée aussi triste que réaliste, Claire se sentit soudain désespérée.
Elle n’en pouvait plus de cette vie, de ce quotidien vide qu’elle détestait, d’elle-même.
Elle était arrivée à un stade où la seule et unique chose qui lui tenait compagnie et la réconfortait un tant soit peu était un… un banc.
Le poids qu’elle avait sur la poitrine l’oppressa encore un peu plus fort, la faisant presque suffoquer.
Sa vie ne méritait pas d’être vécue, vraiment. Une vie sans affection, sans intérêt, sans personne qui ne se soucie de vous.
Même si elle venait à disparaître, combien de semaines mettrait-on avant de se rendre compte de son absence ? Qui s’en inquièterait ?

Personne. Je ne suis qu’une merde.

Sans être d’une joie de vivre explosive comme Fred, Claire n’avait jamais eu un caractère sombre, n’avait jamais été sujette à la dépression ou aux idées noires. Jusqu’à ce jour.
Pour la première fois, elle avait réellement envie de mettre un terme à cette vie dépourvue de sens et de but. Elle ne voyait plus l’intérêt, n’y croyait plus.
Si encore elle avait eu le cran de tout lâcher pour repartir de zéro, chercher ce pourquoi elle était faite, voire de tout plaquer pour partir loin et refaire sa vie. Mais elle était habituée à son confort matériel et ne se sentait pas le courage de se lancer dans un tel challenge sans savoir où ça la mènerait. Et surtout, pas toute seule, sans personne pour l’épauler en tout cas. Parce qu’elle avait peur d’essuyer le même échec social. Si elle devait reprendre sa vie en main de zéro, elle avait besoin de quelqu’un pour l’épauler. Seule elle ne s’en sentait pas capable.

Lâche.

Sa faiblesse acheva de lui donner des idées noires. Elle ne méritait pas de vivre.
Et puis, si elle se suicidait, elle serait enfin en paix, non ? Enfin libre.
Cela lui apparaissait soudain comme une évidence, comme la seule chose à faire. Elle s’en rendait compte seulement à présent mais en fait, elle était profondément malheureuse. Et ce, depuis longtemps. Elle vivait sa vie comme anesthésiée donc ne s’en rendait pas forcément compte au quotidien, mais c’était pourtant le cas.
Et maintenant qu’elle venait de réaliser à quel point elle souffrait, c’était comme s’il était impossible de faire machine arrière. Le barrage avait cédé, et la vague de souffrance qu’elle avait retenu tout ce temps était en train de tout anéantir sur son passage. Impossible de fermer les yeux à nouveau, elle n’avait plus envie de faire semblant et ne s’en sentait plus la force.

La plupart du temps, lorsque les gens pensaient à la mort, ils pouvaient se raisonner en se disant « Oui mais les gens qui ont besoin de moi, que vont-ils devenir ? ».
Elle, elle n’avait même pas cette excuse. Qu’est-ce qui la retenait ?
Rien.
Elle n’avait sa place nulle part. Et cette réalité lui déchirait le cœur.

Elle caressa une nouvelle fois la phrase qu’elle avait gravée elle-même sur ce banc. Pour la première fois, ces mots ne lui paraissaient plus destinés. Ils ne lui donnaient plus courage.  Ils lui paraissaient presque absurdes.
C’était la fin.

Trop ébranlée pour se soucier du ridicule, elle leva les yeux au ciel, le regard fiévreux, ses cheveux lui fouettant le visage, poussés par le vent de plus en plus fort. Elle s’adressa alors au ciel nuageux, sans trop savoir vraiment à qui elle dirigeait sa prière désespérée.
« Donnez-moi une seule et unique raison de ne pas faire ça. Donnez-moi la preuve que je me trompe, que je ne suis pas insignifiante, que quelque part quelqu’un me regarde, sait que je suis là. S’il vous plait, donnez-moi un signe… ».

En réponse à sa requête désespérée, elle sentit une goutte d’eau froide lui tomber sur la joue, puis une autre sur le front, et encore une sur le haut de la tête.
Avant qu’elle n’ait eu le temps de réaliser, une pluie drue s’abattait déjà sur elle et sur le parc.
Comprenant que cette rincée serait la seule réponse qu’elle obtiendrait à son ultimatum, la désolation l’accabla. Elle replia ses jambes contre elle, la tête appuyée sur ses genoux et se mit à pleurer.
L’averse se faisant de plus en plus forte, le parc avait été complètement déserté en quelques secondes, et comme de toute façon personne ne pouvait la voir, elle s’abandonna complètement à ses larmes.
Loin de la soulager, ses violents sanglots étranglaient un peu plus sa poitrine oppressée.
Elle enfouit sa tête entre ses deux genoux, laissant la pluie s’abattre sur elle et la tremper jusqu’aux os.

Pour un signe, ça c’est un signe.

C’était décidé.
Ce soir, elle mettrait fin à tout cela.

***

Mathieu encaissa les 2€80 et tendit le café noir à son client, le gratifiant de son meilleur sourire « En vous remerciant, bonne journée monsieur ! », puis se retourna une nouvelle fois vers la baie vitrée pour regarder en direction du parc.
La fille du banc était encore venue.
Ces derniers temps elle venait de plus en plus souvent, chaque dimanche.
Et comme à chaque fois, elle se posait là et regardait les gens passer pendant des heures sans rien faire. Si au début il s’était demandé ce que foutait cette pauvre fille à passer ses journées là sans bouger, il avait fini par s’y intéresser. Peut-être était-elle écrivain, poète ou une artiste quelconque qui venait pour chercher l’inspiration ? Ou alors elle venait dans l’espoir d’y rencontrer quelqu’un en particulier ?
La voix de son patron le tira de sa rêverie : « Hé Math ? T’arrêtes de dormir et tu me nettoies la table sept s’il te plaît ».
– Oui Monsieur ! répondit-il avec entrain.
Le gros Denis n’était pas un mauvais bougre, c’était même un bon patron. Ses joues violacées trahissaient un amour certain pour le bon vin, mais c’était quelqu’un de juste et avec un grand cœur. C’était un petit groupe de clients réguliers qui l’avaient baptisé « le gros Denis » et Mathieu ne pouvait s’empêcher de l’appeler comme ça dans sa tête. Toutefois il le respectait trop pour oser l’appeler de vive-voix par ce sobriquet. Mais le gros Denis était un rigolard avant tout et n’aurait très certainement rien dit. Mathieu appréciait travailler avec lui.
Même si à la base, il n’était pas venu à Paris pour finir garçon de café…

Arrivé deux ans plus tôt dans la capitale, il était venu la tête pleine de rêves pour tenter de lancer sa carrière d’acteur. Un rêve un peu cliché, il le reconnaissait, mais issu d’une famille aisée, ses parents avaient accepté de lui payer des cours de comédie et pourvoir à ses besoins quelques temps, le temps que sa carrière décolle. Et puis il avait suivi des cours de théâtre en province pendant des années, participé à plusieurs représentations plus jeune, alors il pensait cela possible.
Pourtant deux ans plus tard, il était garçon de café à plein temps et rien d’autre.

Bon, il avait pas mal déconné aussi, il devait l’admettre.

Une fois arrivé dans la capitale, il avait dormi chez un ami d’enfance qui lui avait fait découvrir les joies de la nuit de la plus grande ville de France. Très vite les endroits branchés n’avaient plus de secrets pour lui alors qu’il séchait régulièrement les cours de comédie pour récupérer de ses soirées arrosées.
Il allait se reprendre en main, quand il avait rencontré Cassandra, une jeune modèle. Elle posait pour des publicités dans des magazines féminins et elle était… divine.
Il devait avouer que le coup de cœur qu’il avait eu pour elle était transcendant. Même s’il reconnaissait avec le recul que sa plastique et son métier avaient joué beaucoup dans ce coup de foudre.
Ils s’étaient mis en couple dès le soir de leur rencontre et avaient emménagé ensemble très rapidement. Elle lui avait présenté quelques personnes du métier et sa belle gueule lui avait permis de poser pour deux trois publicités lui aussi, ce qui avait été une très bonne expérience sur le coup – et plutôt bien rémunérée – mais l’avait pas mal desservi au final.
Il était encore jeune et con et n’avait pas su gérer ces événements la tête froide. Trop de changements depuis sa vie tranquille en province et il s’était soudainement cru le roi du monde pour avoir un mannequin dans son lit et sa tête dans un magazine pour adolescentes.
Sauf que Cassandra, elle n’aimait pas les losers et les assistés, alors elle ne lui avait plus jamais présenté personne ou appuyé aucune audition pour lui. A part quelques rôles de figurations dans des séries B, son actualité était au point mort et pour survivre, il avait commencé à travailler dans ce café terrasse à temps partiel.
Le gros Denis l’aimait bien, car comme il disait « ta belle gueule attire les clientes comme des mouches ! » et idiot qu’il était, il s’enorgueillissait de ces compliments.
Et c’est vrai que pas mal d’étudiantes venaient prendre un café entre deux cours, en gloussant avec les copines entre deux regards dans sa direction.
Il en jouait bien entendu, pour les pourboires, pour leur proposer une deuxième boisson ou même seulement pour flatter son ego.
Pour se faire sa petite publicité, le gros Denis n’avait pas hésité à faire de lui la mascotte de l’établissement en placardant au mur les quelques publicités pour lesquelles il avait posé.
Et il devait avouer que ça faisait son petit effet à chaque fois sur la gent féminine, jeune ou plus âgée.

Et il y avait cette fille aussi, la fille du banc. Elle venait de temps en temps pour venir prendre une de leurs spécialités, le chocolat chaud chamallow, avant d’aller se poser sur son éternel poste d’observation dans le parc.
Au début, il devait avouer que tout narcissique qu’il était, il pensait qu’elle venait pour lui, comme toutes les autres.
Surtout qu’elle rougissait toujours d’un air gêné quand elle ajoutait à voix basse : « avec le supplément chantilly, s’il vous plaît », sans jamais oser le regarder dans les yeux.
Il s’était persuadé qu’elle était folle amoureuse de lui, la pauvre. Evidemment, une fille comme elle ne faisait pas le poids contre Cassandra.

Même s’il fallait reconnaître qu’au bout de presque un an, le corps filiforme de Cassandra et son caractère de feu n’avaient plus vraiment le même charme qu’avant.
Plus que mince, il la trouvait plate, plus qu’une forte personnalité, il la trouvait capricieuse.
Il avait vite réalisé qu’à part elle-même, elle n’aimait pas grand monde, et qu’en dehors des moments sur l’oreiller, ils ne partageaient rien de fort.
Elle semblait avoir honte de se coltiner un loser incapable de décrocher un rôle et servant des cappuccino tous les après-midi. Elle avait alors commencé à sortir sans lui aux soirées branchées, jusqu’au jour où il l’avait trouvée au bras d’un autre.
Finalement, même s’il n’était pas sûr de l’aimer vraiment, cette rupture l’avait pas mal affecté. Ne serait-ce que par fierté.

Le gros Denis l’avait consolé d’un « Te voilà bien chanceux d’être débarrassé de cette bécasse ! Aucun homme de mérite une vipère pareille, surtout quand elle est incapable d’apprécier nos chocolats chauds ! ».
Ce jour-là, il avait repensé à la seule fois où elle était venue le voir au café. Toujours soucieuse de se mettre les gens dans la poche, elle avait laissé le gros Denis décider pour elle sa commande, et comme ses cacaos étaient très populaires auprès des étudiantes, il avait demandé à Mathieu de préparer son meilleur chocolat chaud chamallow, ajoutant d’une voix joviale : « C’est pour la maison ! ».
Mathieu s’était approché de Cassandra la tasse à la main et lui avait proposé le supplément chantilly.
Elle lui avait alors décoché son regard le plus noir et répondu d’une voix méprisante : « Et finir avec une barrique d’huile à la place des hanches ? Merci bien, ton cacao avec ses bonbons dedans est déjà bien assez calorique comme ça, j’ai un métier moi, et il ne tolère pas le gras ! ».
Le gros Denis avait feint de ne rien entendre mais Mathieu savait qu’il venait de l’inscrire sur sa liste noire à vie. On ne critiquait pas les douceurs de Denis, c’était ainsi.

Lorsqu’il avait repensé à cette anecdote le jour de sa rupture, il avait réalisé à quel point il était bête.
Il avait soudainement compris.
La fille du banc n’était absolument pas intimidée ou troublée par sa présence. Elle était juste gênée de commander son supplément chantilly alors qu’elle avait quelques petites rondeurs.
Pour la première fois, il avait eu l’impression de comprendre un petit peu les filles.
En fait, elle s’en voulait juste de céder à sa gourmandise.

A partir de ce jour-là, il avait essayé de se montrer plus souriant quand elle venait chercher son péché mignon, pour la mettre à l’aise. Mais elle n’avait pas l’air de le remarquer et fuyait toujours se réfugier sur son banc à peine le chocolat chaud en main.
Encore une fois blessé dans son amour propre, il avait réalisé qu’en fait cette fille ne s’intéressait absolument pas à lui, elle ne le regardait même pas.

Heureusement, la moitié de Paris avait bien meilleur goût que cette asociale et ses groupies continuaient de flatter son ego en venant glousser au café.
Il n’en était pas très fier mais il avait même utilisé l’une d’entre elles en la draguant ouvertement pour se faire héberger le temps que sa carrière démarre, maintenant qu’il n’était plus avec Cassandra…
Sauf que les chevilles enflées par son succès auprès de la gent féminine, il croyait pouvoir conquérir le monde en jouant de sa gueule d’amour et, trop confiant, avait négligé ses auditions et essuyé refus sur refus.
Son amoureuse transie avait fini par ouvrir les yeux et se rendre compte qu’elle était juste utilisée à ses dépends et n’avait pas tardé à le mettre à la porte en le traitant de sans cœur et de raté.

Il s’était alors retrouvé sans le sous, sans logement, sans carrière.
A 24 ans, la plus grosse claque de sa vie.
Bon, il l’avait mérité, il le reconnaissait aujourd’hui. Enfant choyé d’une famille prospère, il avait toujours eu ce qu’il voulait dans la vie, et rapidement. Mais tout ça, ça l’avait changé.
Se voir pour la première fois complètement démuni, incapable d’avouer à ses parents qu’il n’avait fait que se laisser distraire pendant deux ans en dilapidant l’argent de son école où il n’avait quasiment jamais mis les pieds…
Le gros Denis l’avait alors hébergé quelques temps et il s’était mis à travailler à plein temps en compensation. Puis il avait pu trouver une colocation et il vivotait de son travail au café.
Pas vraiment ce pourquoi il avait décidé d’emménager à Paris.

Lassé du gang des glousseuses, il ne s’intéressait plus trop à elles et se contentait de faire son travail en souriant, sans se laisser distraire, soucieux de donner une bonne image de l’établissement. Il était extrêmement redevable au gros Denis.
De l’insouciance, il était passé à la remise en question. Une introspection longue et douloureuse, mais nécessaire.
Il se détestait d’avoir été si bête, si imbu de lui-même, si négligeant de ses propres rêves, si facile à influencer par quelques courbes harmonieuses… Il était définitivement idiot et avait jeté ses chances à la poubelle. Tout était perdu, il avait misérablement tout gâché.
Résigné, il continuait à servir des expresso et des bières pression pour arrêter de réfléchir à l’avenir. Quand il en avait marre, il se forçait en disant que jouer les serveurs bien dans ses pompes était comme jouer la comédie et que ce rôle était un bon entraînement.

Et pour ne plus penser et broyer du noir, il avait pris l’habitude de regarder cette foutue fille du banc en travaillant et en se demandant ce qu’elle pouvait bien faire là pendant des heures.

Un jour, il l’avait vu sortir un petit couteau – de loin il n’était pas sûr – et s’affairer pendant une bonne heure sur le banc.
Brûlant de curiosité, il avait couru au banc le soir-même après le dernier service pour voir ce qu’elle avait bien pu écrire cet après-midi-là. Sûrement un cœur avec les initiales de son amoureux ou une idiotie de ce genre, les filles faisaient toujours ça. Mais quand même, il voulait savoir.

Il y avait toutes sortes de bêtises gravées sur ce blanc, et pourtant il remarqua une gravure plus singulière, et il fût aussitôt persuadée que c’était la sienne. C’était soigné et mystérieux, un peu comme elle finalement.
C’était une phrase. Il n’était même pas sûr de savoir quelle langue c’était.

N’ayant aucune idée de sa signification mais d’autant plus curieux, il avait griffonné la phrase sur un bout de papier avant de rentrer chez lui.
Comme au cœur d’une enquête passionnante, il était tout excité par ce petit rebondissement et son premier geste avait été d’allumer son ordinateur portable pour taper la phrase dans un moteur de recherche.
C’était du latin.

Et quand il su enfin sa signification, ça l’avait frappé en plein visage. Comme si elle avait gravé ce message pour lui, comme si c’était un signe qui lui était destiné.
Il s’était perdu. Il avait pris la mauvaise route et tourné en rond. Puis, convaincu que c’était fini pour lui, il avait tout abandonné. Mais il se trompait. À la lecture de cette phrase mystérieuse comme laissée à son attention, il réalisait que rien n’était fini, tout restait à faire. Le chemin restait à tracer, et il devrait le faire lui-même, pas attendre que ça lui tombe tout cuit dans la bouche.
Il se complaisait dans son malheur, faisant de son échec une tragédie au lieu de l’assumer et prendre les devants. Au lieu d’essayer de changer et de se battre, il ne faisait que se flageller en ressassant son comportement de ces deux dernières années.
Cassandra avait raison, il pouvait vraiment être un minable parfois.

Il décida que cette phrase était un signe pour lui dire de ne pas abandonner. Après tout, sur toutes les choses qu’elle aurait pu écrire, combien de chance sur des millions qu’elle laissa un message qui lui parle autant en cette période de doutes ?
Il avait accroché son papier griffonné au dessus de son bureau pour s’en souvenir et, en y jetant un coup d’œil régulièrement, il avait commencé à chercher sur la toile les troupes de théâtres sur Paris, les cours d’expressions scéniques potentiellement intéressants et autres associations.
Il avait décidé de tout reprendre de zéro, rien n’était trop tard.

Aujourd’hui, il reprenait des cours du soir après le café et passait des auditions régulièrement. Il venait tout juste de décrocher un rôle. Bon, un petit rôle certes, mais la pièce était intéressante et ça l’encourageait. Il se sentait toujours moins minable que quelques temps plus tôt.

Il regardait plus que jamais son inconnue du banc, mais plus comme avant. Il avait passé des mois à la regarder de haut, la considérer comme une groupie ou une fille bizarre… Mais en fait, sans le savoir, elle avait juste redonné un sens à sa vie.
Il avait envie de la remercier, car d’une simple phrase, elle lui avait donné le signe qu’il attendait depuis si longtemps pour sortir la tête de l’eau.
Mais comment la remercier sans avouer qu’il passait son temps à l’épier ses moindres faits et gestes ? Alors il ne lui avait jamais rien dit.

Et dernièrement, si elle passait de plus en plus de temps dans le parc malgré la baisse des températures, elle ne passait plus trop par le café.
Il la trouvait même plutôt morose. Il lui était arrivé de la voir sourire en regardant les passants, mais pas ces derniers temps.
Il aurait bien voulu la connaître pourtant. Quel genre de fille passait ses dimanches au parc à graver des phrases en latin sur les bancs ?

Il finit de débarrasser la table sept et de la nettoyer, puis il jeta un nouveau coup d’œil dans sa direction, tout en retournant derrière le comptoir.
Le temps se couvrait de nuages noirs à une vitesse impressionnante.
Il la vit lever les yeux au ciel, sûrement inquiète du temps.
« On va pas tarder à se prendre une rabasse ! » lança le gros Denis en regardant lui aussi au dehors d’un air soucieux.
Et comme pour honorer sa prédiction, la pluie se mit aussitôt à tomber.
De plus en plus fort.
Mais elle ne bougea pas. Elle restait là, le visage tourné vers le ciel, comme figée.
Qu’est-ce qu’elle avait, pourquoi elle ne courait pas se mettre à l’abri cette imbécile ?!

Tandis qu’il la regardait ramener ses genoux contre elle comme pour se recroqueviller, il remarqua qu’elle était prise de soubresauts. Bien qu’elle soit déjà trempée, elle prenait la peine de s’essuyer les joues entre deux hoquets et il comprit.
Elle pleurait.
Et sans qu’il puisse expliquer pourquoi, ça lui était insupportable.

Il balaya la salle du regard. À part un retraité lisant son journal et un couple de trentenaire, le café était vide.
« Monsieur Denis, est-ce que je peux prendre ma pause maintenant ? »
– Oui mon petit, répondit son patron sans poser de question.

Mathieu déposa deux pièces de monnaie dans la caisse et s’affaira derrière le comptoir pour préparer un grand chocolat chaud qu’il couronna abondamment de chantilly et de copeaux de chocolat au lait qu’il s’appliqua à râper généreusement.
Il prit alors son parapluie et sorti en trombe au dehors.
Sans réfléchir à ce qu’il allait lui dire, il accéléra le pas jusqu’au parc, pressé de ne plus la voir pleurer.
Arrivé à sa hauteur, il ne su que dire et se contenta de tenir son parapluie au dessus de sa tête.

Elle réprima immédiatement ses sanglots et releva timidement la tête d’entre ses genoux. Son visage se figea quand elle le reconnu, manifestement stupéfaite de le voir en face d’elle.
Gêné, il lui tendit son cacao qu’il trouvait tout à coup ridiculement énorme .
« Tiens, ça te fera du bien. », dit-il simplement.
Muette, elle resta un moment interdite puis pris timidement le gobelet. Il vit son regard mouillé s’attarder amoureusement sur la chantilly et ne put s’empêcher de sourire.
« Tu peux pas rester sous la pluie comme ça, tu vas tomber malade. C’est ma pause, tu veux pas venir boire ton chocolat avec moi au café, au chaud ? »
– Mais…, commença-t-elle à protester, comme paniquée à cette idée.
– Y’a pas de mais, on a beaucoup de choses à se raconter tous les deux.
– Ah bon ?! Comme ? demanda-t-elle, surprise.

Il lui tendit la main pour qu’elle se lève enfin puis lui répondit avec un sourire.
“Pour commencer, comme me raconter où tu as appris le latin et comment tu en es venue à vandaliser les bancs publics ?”

Ses yeux s’agrandirent de surprise en même temps que sa bouche, formant un O parfait. Elle leva un instant les yeux au ciel, comme si elle n’y croyait pas, puis après quelques secondes de blanc, elle se décida enfin à prendre sa main pour se relever et le suivre jusqu’au café.
Tout en le suivant timidement, elle jeta un regard estomaqué sur la phrase qu’elle avait gravée.
Aut viam inveniam aut faciam, « Je trouverai le chemin ou le tracerai moi-même ».

Dans l’impasse, un nouveau chemin semblait s’ouvrir à nouveau.

FIN

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Commentaire : Voici donc ma première histoire courte publiée ici.
J’ai eu l’idée de cette histoire en me baladant. J’avais envie de l’écrire tout de suite, mais je n’avais qu’une vague idée, rien de précis. Alors j’ai laissé mûrir mes personnages dans ma tête avant de tenter de la rendre réelle. Sans entrer dans le détail, j’avais envie d’écrire le début d’une histoire d’amour. J’ai écrit cette histoire il y a quelques années et quand je l’ai relue récemment, je l’ai trouvée un peu cliché, voire maladroite et j’ai retravaillé quelques passages. Ce n’est pas une grande histoire ni très originale, mais j’aime bien mon couple de Mathieu et Claire. J’aime à penser qu’ils vont se tirer tous les deux vers le haut et s’épanouir dans ce qu’ils aiment. Car contrairement à ce qu’elle croit, Claire a beaucoup de passions. Elle n’a juste jamais eu l’occasion de les exprimer. Je les imagine s’apprivoiser et apprendre à se connaître lentement, et créer une belle histoire à deux.
Et vous ?

7 thoughts on “La fille sur le banc

  1. Stiph

    Et me voilà à pleurer comme un bébé.
    C’est très beau, vraiment très agréable à lire, et pendant le passage de Claire, je n’aurais pas réussi à imaginer une telle fin.
    J’ai le coeur tout gonflé et les yeux mouillés. Bravo !
    J’ai encore plus hâte de lire tes prochains textes <3

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  2. Mila

    Dis-donc heureusement qu’il y a la fin parce que dehors il fait un temps de merde et j’avais le moral qui chutait au fur et à mesure de la lecture -je me retrouve un peu dans claire-. Encore que moi aucun jeune homme sublime ne soit venu m’apporter un chocolat dans mes moments de désespoir~ah là là. Non, plus sérieusement, j’ai su que j’allais aimer au titre en fait. Me demande pas pourquoi, je le trouve juste joli. Et j’aime aussi l’idée. Le personnage de Claire ne m’est pas excessivement sympathique mais je pense que c’est parce qu’elle me rappelle trop une période de ma vie/partie de moi que je n’aime pas. Et tu es toujours très agréable à lire 🙂 Donc, maintenant il va falloir nous faire lire plus de textes \O/

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  3. Koubiak

    Hé ben! Je viens juste de finir et je suis vraiment impressionnée. Moi qui adore les histoires qui se croisent, je dois dire que j’ai adoré. On ne s’attend vraiment pas à la fin, et ça fait du bien après la tristesse du début…En tout cas bravo, il fallait le faire! C’est très réaliste et bien écrit. Just keep it up!

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  4. Myriam

    Pffiouuu!!!! Je passe sur ton mur pour t’écrire un petit message et en le lisant, je découvre ce blog. Je savais que tu avais des talents d’écrivain, mais là, je suis bluffée. J’ai dévoré ta nouvelle, j’en ai eu les larmes aux yeux, je suis aussi du genre sensible à pleurer pour un roman ou un film. C’est superbe, j’ai adoré. J’étais comme une idiote devant le pc, disant à Claire, t’es conne, fait pas ça et paf, voici le beau Mathieu qui entre en scène. J’adore ce style d’écriture. N’arrête surtout pas d’écrire. Tu as un talent incroyable, que ce soit pour les nouvelles ou pour nous raconter tes péripéties japonaises. Tu manies aussi bien les sentiments que l’humour. Félicitations. J’ajoute ce blog dans mes favoris, je ne veux pas manquer le prochain récit.

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  5. Mimi

    J’aime beaucoup la complexité du personnage de Claire qui donne une facilité aux lectrices de se reconnaître dans certains de ses traits. J’ai toujours apprécié les nouvelles, ça me rappelle les années collège, stade d’étude où l’œuvre ne se résume pas à n’être qu’un support que l’on dissèque à des fins dissertatives! (la fille légèrement traumatisée par le lycée 🙂 )
    Tu connais le juste milieu de profondeur de tes récits, tu n’en dis jamais trop ou pas asses et cette régularité continue dans tes textes les rendent agréables, fluides.
    L’histoire en elle même est très prenante, les personnages humains, avec leurs qualités et leurs défauts. Comme beaucoup d’autres, j’aime les histoires d’amour, les scénario romantiques, bien que je préfère les princes « écorchés-vifs » (que je trouve plus mystérieux, plus profond) aux princes charmants.

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  6. SALT

    Je suis d’accord avec Mila : le personnage de Claire ne m’était pas excessivement sympathique. :p Alors, et c’est en ça que c’est bien fait, je me retrouvais clairement dans certains aspects de sa personnalité, mais en même temps elle m’agaçait parce que tout en ayant une estime de soi au ras des pâquerettes, je lui trouvais un côté hautain, en quelque sorte, à juger les loisirs (pourris) des autres (la phrase où elle compare ses centres d’intérêt à ceux de “la majorité des jeunes d’aujourd’hui” m’a franchement hérissé le poil, haha, j’étais lancée dans une diatribe face à mon écran). Mais je trouve cette ambivalence réaliste et très humaine, et tu as bien équilibré les deux, ce qui fait qu’on ne la déteste pas non plus. Aussi, je trouvais intéressant son vague à l’âme (disons le comme ça) conjugué à un sentiment de culpabilité parce qu’objectivement, tout va “bien” dans sa vie (ça m’a fait penser à des remarques courantes sur les films de Sofia Coppola et ses personnages de “pauvres petites filles privilégiées”, quand bien même les filles favorisées en question se suicident à la fin du film). Ta remarque à la fin du texte où tu pointes le fait que “contrairement à ce qu’elle croit, Claire a beaucoup de passions” m’a interpellée, parce que c’est bien sûr quelque chose qu’on soupçonne en lisant le texte, mais qu’on ne sent pas vraiment, étant du point de vue de Claire ? Par exemple, outre son goût pour les langues mortes (lol) et le dessin, on se doute que si elle “qualifi[e] la musique à la radio de «soupe »”, c’est bien qu’elle doit avoir de la musique qu’elle aime, en comparaison, à côté (ou que la musique en général c’est pas son truc, autre possibilité), mais ça n’est jamais dit non plus clairement.
    D’un autre côté, Mathieu, même s’il est devenu depuis quelqu’un de bien, partait d’assez bas quand même, avec son côté bellâtre imbu de lui-même (le commentaire sur son ex (“plus que mince, il la trouvait plate”) m’a fait pousser un “CONNARD” retentissant, aheum :p). 😉
    Donc voilà, oui, ce n’est pas une histoire très originale, mais tes personnages sont humains, on peut s’identifier à eux (pour le meilleur et pour le pire), du coup on s’investit progressivement dans ce qui leur arrive, et la fin est suffisamment optimiste dans son format un peu ouvert pour qu’on ressorte content de cette lecture. Et puis j’aime l’idée qu’on puisse inspirer quelqu’un, même sans le savoir, être ce catalyseur qui le pousse à essayer de s’améliorer. 😀
    Alors certes, il y a peut-être quelques maladresses (et personnellement j’aurais conseillé à Claire d’aller voir un psy :p), mais ton style est agréable à lire globalement, tu as un bon rythme (peut-être plus sensible dans la seconde moitié du texte ?), et ça me rend curieuse de lire d’autres choses de toi. ^^

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    1. Sonyan Post author

      Merci de m’avoir lue et d’avoir pris le temps de commenter !
      Alors pour moi, clairement ces personnages sont loin d’être parfaits et ont leur gros défauts de personnalité. Oui, Claire est assez “judgemental”, mais je crois que c’est une caractéristique de pas mal de gens. Elle critique en partie parce qu’elle n’a pas confiance en elle et qu’elle se sent à part, mais dès qu’elle a eu l’occasion de sortir avec les autres, au final elle s’en est très bien accommodée. Je suis presque sûre que si la soirée en boîte de nuit s’était mieux terminée pour elle, elle aurait pu recommencer et finir par apprécier.
      En fait, elle est juste quelqu’un de super aigri. Avec l’empathie et l’antipathie que ça peut provoquer. Pour moi elle aime les lettres et le dessin. Les arts en général. Mais à ce stade de l’histoire, ce sont juste des choses qui l’intéressent mais qu’elle n’a jamais creusé plus que ça.
      Et Mathieu, c’est clairement un petit con. Un petit con qui est en train de se rendre compte de ce qu’il est mais y’a encore du travail à faire.
      En fait, j’aime bien ces deux personnages car dans ma tête, ils ont plein de défauts mais l’un avec l’autre, j’ai l’impression qu’ils peuvent s’améliorer.
      J’aimais bien l’idée que oui, on peut inspirer quelqu’un sans le savoir, ou se sentir seul et “oublié” alors que certains nous portent de l’intérêt dans l’ombre.

      Merci en tous cas pour ton avis et d’avoir pris le temps de lire !

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